La prison accueille depuis une vingtaine d’années, toujours plus de personnes présentant des troubles mentaux. Les hypothèses avancées quant aux causes de cette tendance sont multiples. Les mutations de l’hôpital psychiatrique (diminution du nombre de lits d’hospitalisation et développement du soin ambulatoire) fragiliseraient les patients les plus marginalisés, les faisant entrer « dans un cercle vicieux d’errance, de petite criminalité et d’incarcérations successives » selon la sociologue Camille Lancelevée. Elle met également en avant deux évolutions judiciaires : une sévérité pénale croissante et une responsabilisation des malades mentaux plus courante. La sociologue avance également le déploiement d’équipes psychiatriques dans les établissements pénitentiaires qui leur donnerait « l’allure d’un asile de dernier recours ».
Dans les prisons françaises, plus d’un tiers des personnes entrant en détention présentent un risque suicidaire, près de la moitié souffre de troubles anxieux élevés et 7% souffre de troubles psychotiques, selon une étude conduite par le CHU de Lille en 2020. La part de personnes souffrant de troubles psychiatriques à l’entrée en détention est trois fois supérieure à celle existant dans la population française. Elles bénéficient d’un suivi médical, mais vivent souvent dans l’isolement, et sont parfois victimes de mauvais traitements. Le travail des soignants est rendu difficile tant la prison semble contribuer à la production ou l’aggravation des troubles mentaux qu’ils ont à gérer. La vulnérabilité des patients fait de la détention une épreuve extrêmement traumatisante et fait de la sortie une période à risque.
En effet, lorsque vient le jour de la sortie, beaucoup sont inquiets et seuls. Dans le département du Nord, les sortants de prison doivent attendre 25 jours en moyenne pour obtenir un premier rendez vous dans un Centre Médico Psychologique. Comble d’infortune, la détresse ressentie face à l’ampleur de toutes les autres démarches de réinsertion empêche finalement bon nombre d’individus de se présenter à ce premier rendez-vous d’aide psychologique ou aux suivants.
À Lille, à l’initiative des psychiatres Tatiana Scouflaire et Thomas Fovet, une équipe pluridisciplinaire a été créée en septembre 2020 pour préparer au mieux la sortie de détention de ces personnes et assurer la transition avec les dispositifs de soin existant à l’extérieur. Ce suivi est volontaire et englobe une prise en charge médicale et un accompagnement social, grâce à une équipe d’infirmiers, éducateurs, assistants sociaux et psychiatres.
Du dedans au dehors, les parcours des patients sont divers, mais les écueils que ces derniers rencontrent se répètent. Leur passage en détention les marque, physiquement et psychologiquement. Les mêmes difficultés se présentent alors systématiquement : interdictions, obligations, démarches administratives nombreuses, ruptures de soins, précarité, isolement, etc.